Dans le cadre de la commémoration du 76e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Laboratoire d’Etudes Constitutionnelles et d’Analyse des Crises et des Politiques (LECACP) et le Groupe de Recherche sur l’Administration et les Politiques Publiques (GRAPP) de la FSJES-UCA, en partenariat avec ‘les Jeudis de la Bibliothèque’, ont organisé, le 12 décembre 2024, une table ronde sur « Le droit international et les crimes de génocide : De l’Holocauste Nazi des Juifs au Génocide des Palestiniens de Gaza.»
Le référentiel majeur de la rencontre se base sur l’idée centrale que le droit international, fondé sur la philosophie de la force du droit en tant que mécanisme de régulation des relations internationales, permet la coexistence pacifique entre les acteurs de la communauté internationale, sur la base des principes de la souveraineté et d’égalité juridique entre les Etats. Autrement dit, dans un monde idéal, le respect et l’effectivité du droit international contribueraient à produire un ordre international juste et équitable.
À la lumière des transformations du système international et des déviations répétées du droit international qui est censé l’encadrer, les événements tragiques, les conflits et les guerres continuent de se dérouler à cause notamment de l’unilatéralisme dans la prise de décision et dans les interventions militaires, la marginalisation des institutions et de la légalité internationales, et la perpétuation de la logique de puissance et de l’hégémonie. Malgré les efforts déployés au niveau des institutions et des organisations internationales, qui ont contribué à contenir de nombreuses crises et conflits, dont certains ont failli déboucher sur des guerres de grande ampleur, leur travail est souvent entravé et contourné, en particulier par les grandes puissances.
L’objectif de la table ronde, qui a ouvert un débat académique sur la guerre génocidaire contre le peuple palestinien à Gaza, dont l’histoire et le monde sont témoins depuis plus d’un an, et qui se caractérise par la disproportion de l’action et de la réaction, et l’absence totale de respect du droit de la guerre et du droit international humanitaire, s’inscrit dans le contexte d’un questionnement sur la dimension procédurale du droit international et sur les mécanismes et les limites de son application. Face à la réalité de la puissance et à la concurrence des intérêts nationaux, la justice internationale est souvent reléguée au second plan avec ses dimensions juridiques, éthiques et humanitaires. Sinon, comment accepter et expliquer l’ampleur de la destruction et du génocide à Gaza, sans précédent au 21ème siècle ? Ceci interpelle la conscience collective de l’humanité, et nécessite un plaidoyer international sérieux et une intervention immédiate pour arrêter la guerre d’anéantissement contre le peuple palestinien.
Les interventions, menées par des experts et des chercheurs (Reda AIT ALLA, Khamis WILIAM KUOL, Dr. Abdelhakim OUADI, Pr.Mohamed ABI-ESSEROUR, Pr. Ahmed ECHA-CHAFIY, Pr. Zouhair LAAMIM, Pr. Abdelaziz RADI, Pr. Mostafa JARI) en droit international, en relations internationales et en droits de l’homme, ont commencé par expliquer plusieurs dimensions liées au droit international et au crime de génocide. La dimension conceptuelle du crime de génocide et ses développements historiques et philosophiques ont été identifiés. La dimension juridique du crime de génocide selon les décisions de la Cour internationale de justice (CIJ) et de la Cour pénale internationale (CPI), et l’évolution du contentieux international ont été retracées à travers une lecture approfondie de la décision de la CPI contre Netanyahu et Gallant, et de ses implications juridiques et procédurales.
Dans le même contexte, plusieurs rapports internationaux confirment que ce qui se passe à Gaza relève du crime de génocide, comme le rapport intitulé « Anatomie du génocide » du rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens depuis 1967, l’Italienne Francesca Albanese, qui, malgré les pressions exercées sur elle par des lobbies opposés aux droits du peuple palestinien, a fourni un témoignage objectif et documenté concluant qu’il existe des « motifs raisonnables de croire» que le seuil du crime de génocide a été atteint dans la bande de Gaza.
Un autre rapport tout aussi important, celui d’Amnesty International, intitulé «‘On a l’impression d’être des sous-humains’ : Le génocide des palestiniens et palestiniennes commis par Israël à Gaza» a été présenté et discuté. Ce rapport qui révèle et documente l’ampleur des massacres systématiques, des déplacements forcés, de la famine et du refus de l’aide humanitaire aux personnes touchées, montre que la guerre génocidaire totale a transformé Gaza en une terre invivable, ce qui ne peut être justifié sous aucun prétexte.
Outre la guerre génocidaire contre Gaza, et dans la perspective de l’approche comparative, la table ronde a discuté les crimes de guerre au Sud-Soudan, qui est né d’une guerre civile et dont la population a souffert et continue de souffrir de la lutte et de la compétition non pacifiques pour l’accès et l’alternance au pouvoir qui ont causé des centaines de milliers de victimes civiles tuées, déplacées, affamées et soumises aux crimes sexuels les plus odieux.
Le dénominateur commun des crimes de guerre et des génocides, qu’il s’agisse de l’holocauste nazi des Juifs, du génocide à Gaza ou au Rwanda, ou des crimes de guerre au Sud-Soudan, est qu’ils commencent tous par une guerre psychologique au moyen d’une propagande idéologique tendancieuse qui vise à déshumaniser l’autre, des groupes spécifiques, préparant et légitimant ainsi les meurtres de masse systématiques.
Les discussions de la table ronde ont conclu à la nécessité d’unir les efforts internationaux, principalement ceux des pays arabes et islamiques, pour arrêter immédiatement la guerre génocidaire contre Gaza. Il faudra ensuite utiliser tous les moyens légaux pour traduire les auteurs de crimes génocidaires en justice. Et, enfin, pour jeter l’opprobre sur le soutien inconditionnel des États-Unis et de l’Occident à Israël, il va falloir développer, par des mécanismes institutionnels, académiques et civils appropriés, une contre narrative en faveur de la libération de la Palestine et la reconnaissance d’un Etat palestinien. L’établissement d’une paix juste et durable au Moyen-Orient n’est-elle pas une alternative viable à l’apartheid, à la domination et à l’arrogance israéliens ? La sécurité d’Israël a-t-elle jamais été assurée par la seule voix des armes ?
Sans vouloir demander au droit international plus qu’il ne peut faire, notamment face à la Real Politics, il peut néanmoins constituer la base à partir de laquelle des négociations sous l’auspice des Nations-Unies et des accords de paix pourraient être conclus.